Ses journées se résumaient à observer, seul, depuis le balcon de leur maison de banlieue, les tours immenses et célestes de la Cité. Son père y travaillait, quelque part - le petit ne savait où -, et lorsqu'il revenait, il le prenait sur ses épaules et lui montrait tous les lieux qu'il visitait, là où il travaillait, là où il y avait des choses intéressantes, là où il aimerait l'emmener. « Et maman, elle est où ? » Son père levait les yeux vers son bambin et l'observa, la mine triste. « Par là, je pense. Elle doit être en train de te regarder et d'être fier de son petit garçon. » lui dit-il en désignant du doigt une haute tour qui devait être l’hôpital d'Ys. Des étoiles tourbillonnaient dans l'esprit et dans les yeux du gamin qui voulait rendre sa mère heureuse plus que tout. Il partait souvent à l'aventure dans la banlieue, piquait des fleurs dans les jardins des voisins et faisait un joli bouquet, qu'il tendait ensuite à son paternel, les yeux rouges de son allergie au pollen et ses dents éclairées par son sourire radieux. Son père ne savait que faire de tous ces bouquets. Il les prenait, se demandant chaque jour comment il allait annoncer la nouvelle à son petit. Les déposant dans la mer, il les regardait partir au loin, avec tout ses espoirs, son amour ...
Nate tentait toujours de mieux travailler à l'école, souhaitant devenir aussi fort que son père. Il était au courant. En emmenant les plus petits de l'école faire des promenades dans la banlieue, afin d'explorer des lieux nouveaux, il se disait qu'il devait continuer à maintenir l'illusion ; son espoir était de montrer à son père combien il était devenu grand - même s'il ne l'était pas tout à fait. Il se croyait pirate, explorateur, était suivi par une petite troupe de bambins prêts comme lui à conquérir le monde. Mais il aurait aimé pouvoir voir sa mère encore une fois.


Ses yeux rêveurs contemplent sans cesse les grandes tours. Il se voit zigzaguer entre elles, sillonner des rues pleines de mondes, voguer dans des ruelles sombres et dans des coins cachés, où le monde entier se dévoile dans ses yeux de petit garçon. Il a des souvenirs lointains de la ville elle-même - qui remontent à son arrivée, lorsqu'il avait quatre ans -, mais son imagination transforme les tours en arbres gigantesques et il s'agit pour lui de se balancer sur des lianes énormes à la recherche d'un trésor. Il sait peut-être que la réalité n'est pas à la hauteur de ses espoirs mais peu importe. Lui qui vient de la banlieue et qui la connaît par cœur, il a hâte de mettre les pieds là-haut. La banlieue reste toutefois cet univers, ce cosmos entier duquel il fait intégralement, physiquement partie. Il ne pourra jamais être coupé définitivement des racines qui le maintiennent en ce lieu.


Tout paraissait normal lorsqu'il s'est réveillé : son père partait tôt au travail et il ne le voyait jamais avant le soir. Il s'était fait sa petite tartine de confiture, regardait depuis la table de la cuisine les tours de la cité. Après avoir bu un grand verre de lait, il se mit en route, afin de trouver ses camarades : c'est alors qu'il se rendit compte que les rues étaient désertes. Et que c'était peut-être finalement le moment de partir à l'aventure vers la cité ...