Le Passé
a une époque, Juniper voyait ses parents
(et surtout, ses parents le voyaient)
Ils l’appelaient June avec une lueur dans le regard et lui offraient des peluches toutes douces pour son anniversaire. Le week-end, ils sortaient faire un tour de la ville en rollers et parfois, ils passaient même une demi-journée sur l’une des plages bordant l'île. Pour les vacances, ils quittaient Ys pour rendre visite aux grand-parents de June qui vivaient à la campagne.
c’est là qu'il a commencé ses carnets
il s’y est beaucoup appliqué
(mais cette époque est bien loin)
(June ne sait pas si elle lui manque)
June avait peut-être 8 ans quand ses parents ont changé de métier pour quelque-chose de plus prenant. (et de plus lucratif) Après avoir vendu leur appartement à proximité d’une plage d’Ys, ils ont emménagé dans un autre, en plein centre-ville. Leur vie colorée a tourné au noir et blanc si lentement qu’il s’en est à peine rendu compte, au départ. Jusqu’à ce qu’il remarque qu’on ne l’appelait plus June. Il n’était plus que Juniper.
plus de surnom affectueux
comme s’ils ne se connaissaient pas
(il a détesté ça)
Tout comme il a détesté entendre ses pas résonner entre les murs blancs de ce foyer trop grand pour le peu de monde qu’il y voyait. Avec leurs nouveaux emplois, la présence de ses parents s’est progressivement réduite jusqu’à ce qu’ils soient pratiquement immatériels. Des messages sur des post-its. Des SMS sur son téléphone. Des silhouettes pâles lui adressant à peine quelques mots lorsqu’ils rentraient le soir.
tard, généralement
et jamais en même temps
('tu devrais déjà être couché, Juniper')
(dans leur bouche, son nom lui donnait la nausée)
Les week-ends étaient d'un ennui monstre. Plus de demi-journées à la plage, plus de courses en rollers: ils avaient à faire. June pouvait toujours sortir avec des amis. (mais ce n'était pas pareil) Ils l’envoyaient seul chez ses grand-parents, pour les vacances. Même ses jolies peluches lui donnaient l’impression de le narguer.
est-ce qu’ils ne l’aimaient plus ?
ils lui avaient assuré que non
(mais les adultes sont des menteurs)
(alors June n’y a pas cru)
Au bout d’un moment, June a décidé qu’après tout, il pouvait jouer à ce jeu-là aussi. Il pouvait passer sa vie dehors à ne pas s’intéresser à eux. Alors un après-midi, en rentrant de l’école, il a enfilé ses rollers et est sorti sans prévenir personne. Il a fait le tour du quartier, puis un tour plus grand, découvrant cette partie de la ville qu’il avait longtemps regardée sans voir.
en rentrant, il n’y avait personne
alors c’est devenu une habitude
Ca a fini par se savoir quand il est rentré avec tout un genou en sang suite à une mauvaise chute. Il a dû appeler sa mère qui est arrivée en catastrophe, aussi énervée d’être interrompue dans son travail que par sa désobéissance. Plus de peur que de mal. Elle a demandé ce qu’il faisait dehors, ce à quoi June a haussé les épaules.
«
Tu t’en fiches, de toutes façons. » sa voix n’a même pas tremblé
(sa mère, en revanche, a accusé le coup)
(pas que June s'en soit rendu compte)
elle n’a rien demandé d’autre
il est retourné dans sa chambre
L’année suivante, ses parents lui proposaient de choisir un sport à pratiquer, s’il s’ennuyait tant que ça. Mais les cours de boxe française ne l’empêchaient pas de sortir faire un tour quand l’envie lui prenait. Pas plus que leurs messages inquiets où il ne lisait que de l'hypocrisie. ’sois prudent’, comme s’ils s’intéressaient à lui.
au bout d’un moment, il a arrêté de les lire
s’ils ont remarqué, ils ne lui ont rien dit
La Cité d'Ys
June a grandi dans la cité d’Ys. Ses rues n’ont plus de secrets pour lui, il s’y retrouve sans réfléchir. Il aime ses plages et il aime sa banlieue où on voit mieux les étoiles. Il aime grimper dès que l’occasion se présente pour regarder les rues de haut et trouver les passants très petits. Il aime filer sur le goudron à toute vitesse sur ses rollers, quitte à se faire mal de temps à autres.
mais ce qu’il préférerait par dessus tout
ce serait de partir d’ici
De tourner le dos à Ys pour aller habiter dans un endroit avec plus d’arbres et moins de goudron. Un endroit où on voit les étoiles. Un endroit avec plein de fleurs et d’animaux sur lesquels prendre des notes. Mais en attendant, il s’intéresse aux chats errants du quartier.
L'Évènement
ses parents ont disparu
June n'a pas remarqué
(du moins, ça lui a pris du temps)
(leur absence n'avait rien de nouveau)
Il a mis ses rollers et est parti faire un tour dehors. Les voisins n’étaient pas là. Que leurs enfants. Il n’y avait personne à l’école. Forcément: pas de professeurs. (en voilà une bonne nouvelle) Mais les chats errants étaient toujours là, alors June ne s’est pas senti trop seul. Ses parents, comme tous les autres, étaient partis. En avaient-ils eu marre de ses bêtises ? Ne l’aimaient-ils plus, comme il l’avait supposé ?
aucun moyen de le savoir
aucune importance
ils pouvaient bien l’abandonner
June n’avait pas besoin d’eux