Le Passé
avant gabrielle – avant gabriel – il y avait ariel. ariel était mature et généreuse, ariel savait toujours quoi faire. ariel était adorée, de ses amis, de ses parents, de gabriel.
ariel, si belle, et son sourire —
même sur le brancard, en soufflant un « au revoir ».
et gabriel, lui, était seul. tout petit, dans l'ombre de son idole. tout petit, perdu, dans son absence. tout petit, dans la maison un peu trop vide. dans le silence pesant. dans le regard distant de ses parents.
trop petit, dans les robes d'ariel.en cachette, à l'insu de papa et maman, gabriel retrouvait ariel. comme avant, comme il s'en souvenait toujours, avec son sourire et ses longs cheveux. et le secret grandissait, au fur et à mesure qu'ariel renaissait.
plus ariel grandissait, plus gabriel s'effaçait. discret, réservé. timide.
taciturne. les murmures, eux, s'étoffaient sur son chemin. les regards en coin, souvent teintés de pitié. ou parfois d'agacement. gabriel n'était plus le même depuis l'accident. les adultes qui pensaient le protéger se demandaient s'il s'en remettrait, s'il finirait par lâcher prise — par la laisser partir. mais gabriel réajustait son sac à dos et pressait le pas, les yeux rivés sur le sol, en se répétant qu'ils ne savaient rien. il entendait sa mère pleurer encore parfois, mais le temps effaçait peu à peu les traces. mais lui, il ne l'oublierait pas. ariel était toujours là, avec lui, et ils étaient plus proches que jamais. il la comprenait si bien, à présent.
de trop petit, il devint trop grand. mais ce n'était pas grave. il achetait de nouvelles tenues, qu'il cachait dans sa chambre, là où d'autre planquaient des magazines ou de la drogue. sa drogue à lui, c'était elle. son héroïne. parfois, il sortait avec elle. il l'emmenait loin de leur petit quartier résidentiel, et passait des après-midis entiers avec elle. il la laissait rencontrer du monde, parfois. elle s'amusait à s'appeler gabrielle, pour le taquiner.
à quinze ans, gabriel n'avait plus qu'un souhait.
cesser d'exister.
( céder sa place. )
La Cité d'Ys
gabe ne connaît rien d'autre. gabe est né à ys et a toujours vécu dans sa banlieue. aujourd'hui encore, sans le savoir, il en est prisonnier. emmêlé dans ses souvenirs, qu'il tente en continu de raviver.
L'Évènement
gabe a tout de suite remarqué l'absence de ses parents. comment aurait-il pu ignorer l'angoisse qui lui nouait la gorge, face au silence et au vide.
encore une fois. seul. abandonné.
après avoir fouillé et retourné toute la maison, après avoir tourné en rond, après s'être terré dans un coin de sa chambre en hurlant et s'être laissé dépérir trente minutes de plus
après tout ça, gabe avait fini par s'aventurer dehors. pour ne découvrir qu'un monde de plus en plus vide.
il lui avait fallu du temps pour comprendre l'inexplicable. et gabriel ne sait toujours pas quoi en penser. mais une chose était sûre : ariel n'aurait pas attendu d'être secourue. si gabriel ne savait pas quoi faire, peut-être que gabrielle, elle, saurait.
parce que gabrielle était incroyable.
et gabrielle ne se sentait jamais seule.