DANS LE PASSÉ !
Tout son corps tremblait. Une sueur continue venait tremper sa tenue et plaquer ses épais cheveux sur eux-même. Putain, ce qu'elle souffrait.
Pourtant sa main continuait de se saisir des prises, de plus en plus petite avec le temps. Bien vite suivi par tout le reste de son corps : son pied gauche prit un risque en se propulsant un peu vers l'avant mais elle avait pensé à stabiliser son équilibre grâce au droit, qui lui, restait solidement ancré sur la petite bosse du mur d'escalade.
C'était comme ça qu'elle avançait Jude dans la vie : toujours sécurisée.
La grimpeuse jeta un coup d'oeil satisfait vers le bas : elle était la première bien sure. Non pas pour l'ego ou l'excellence ; mais elle souhaitait plus que tout au monde voir briller la flamme de fierté dans les yeux de papa.
Cette flamme, elle ne savait pas exactement depuis combien de temps elle l'entretenait - depuis toujours il lui semblait.
La petite grimpeuse avait grandi seule avec papa depuis que maman était partie, vers ses trois ans sans doute. Et de papa, il ne lui restait que le nom : Jude et Mr.Moony était bien plus partenaires que père et fille.
Et Jude, ça lui allait. Jamais elle n'aurait demandé à son paternel de changer, c'était déjà son âme soeur peut-être.
Était car il est parti. Pouf, disparu, comme les autres.
On aurait pu penser que le fait qu'il était la personne la plus merveilleuse du monde aurait pu le protéger, malheureusement il n'en fut rien.
Pourtant, il avait tout fait pour nouer une relation indestructible avec sa fille, un lien imbrisable : Combien d'heures à regarder les films d'Alexander Mackendrick ? À écouter les Cranberries en dansant et en hurlant à plein poumons ? À réparer cette vielle deux chevaux française bleue marine ? Il semblait à Jude que c'était toute son enfance.
Une enfance qu'elle savait épargnée dans une bulle, un peu vieillotte, un peu rétro, démodée sans doute. Mais ce qu'elle pouvait l'aimer cette enfance !
Papa était son meilleur ami.
Peut-être car il était le seul aussi ?
Jude n'a jamais était vraiment très douée pour se faire des amis, c'était pas tasse de thé voilà tout. Le voulait t'elle seulement ? Si elle s'entendait bien avec quelques-filles du club d'escalade : ça n'allait pas plus loin.
A l'école, elle était le genre d'élève à rester dans son coin et à lire des bouquins : le genre d'élèves à devenir souffre douleur. Mais ce ne fut jamais le cas de Jude. Elle était bien trop forte pour ça. Elle battait n'importe quel garçon à la bagarre et il faut dire que le poste de Maire de la ville de Papa, la rendait intouchable.
Déjà en haut. La grimpeuse regarda le sol d'ici là, tout les parents ressemblaient à des fourmis. Seul son papa brillait d'une intensité si forte que Jude en était éblouie.
Il était tout ce qu'elle aimait.
La Cité d'Ys
Vous voyez ces grandes maisons qu'on regarde sans trop y croire ? Des briques blanches immaculées, de grandes haies qui les séparent du monde et une piscine creusée qui coute aussi cher que la maison des voisins ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître Jude habite une de ses maisons. Une des premières maisons d'Ys à vrai dire, la jeune grimpeuse ne connait pas trop l'histoire de sa famille mais elle est certaine que le nom Moony est fortement associé à au passé, présent et futur de la ville. C'est pour ça, qu'elle évite de crier son nom de famille sur tous les toits.
Sinon, la jeune ado a toujours vécu dans ici, fréquenté les mêmes rues, les mêmes camarades de classe et vécu les mêmes choses. Et ça lui convenait parfaitement parce-que papa était là pour rendre la routine moins morne et ennuyante.
L'Évènement
Aux premières heures : Prise de conscience. Hallucinée, elle n'y croit pas. Elle erre dans les rues à la recherche d'un adulte, d'un voisin quelconque. Puis elle court, de toutes ses forces vers la mairie. Elle a toujours un double des clés.
Vide. Le bureau de Papa est désertique et froid comme sa chambre.
Elle hurle, elle crie, elle pleure. Se débat contre un ennemi invisible. Son coeur se serre, son corps se ratatine. Elle compose son numéro : pas de réseau. Lui envoie un mail : Internet aussi a disparu.
Alors elle croit rêver : un cauchemar ne dure jamais aussi longtemps ; elle se pince, ordonne à ce corps qui d'habitude obéit si bien de se réveiller. Pas de réponses.
Il lui faut bien quelques-jours de chagrin alors que des enfants vandalise déjà les supermarchés et qu'elle se nourrit des restes du frigo pour reprendre ses esprits et se poser la question :
pourquoi ?Elle ne croit ni à la justice divine, ni au purgatoire, ni aux extraterrestres.... Reste l'expérience Sociale. Mais elle a beau fouiller tous les dossiers de papa, elle ne trouve rien qui corrobore cette hypothèse.
Non. De toute façon il n'aurait jamais accepté, il aurait trouvé un moyen de la prendre avec lui... C'était certain. Peut-être faire une expérience sociale sur toute une ville sans en informer le maire ? Ça lui parait plus que probable tant Ys apparait comme la cité idéale. Il est facile de les piéger dans cette ville qui de foyer deviendra enfer.
Mais il manque quelque-chose.... Des caméras ? Des drones peut-être ? Il faut un moyen de les surveiller, c'est certain. Toujours à l'abri dans le bureau de Papa, June fouille son corps à la recherche d'une puce ou n'importe quoi.
Rien. Regarde t'elle trop de films ?
L'ado ne tarde pas à dire au revoir au bureau de papa et à la maison. La propriété n'existe plus dans un tel monde : elle se retrouve avec une quantité affolante de maisons pour vivre et elle sait que la sienne ne tardera pas à attirer les pilleurs.
Elle charge la 2CV française bleue marine avec les dvds, les livres (elle ne peut s'empêcher de froncer les sourcils quand
sa majesté des mouches lui passent entre les mains), les disques et les cassettes. Il reste de la place pour les dossiers de Papa, des boîtes de conserves et quelques plantes vertes. Elle laissera le reste à contre-coeur non sans un dernier regard triste vers le piano.
Au volant, elle hésite un peu. Elle sait conduire, oui : papa lui a appris mais elle était sensée attendre l'année prochaine pour passer son permis. Il lui faut quelque-temps pour réaliser qu'il n'y aura plus de contrôle.
Finalement elle tourne les clés et le moteur se met à hurler, la voilà partie. Où ? Elle ne sait pas encore. Trouver quelque-chose, quelqu'un qui pourra l'aider à trouver les réponses. A retrouver Papa.
Car il n'est pas parti pour toujours, non, non. Elle n'y croit pas, ne peut résoudre à l'accepter.
Au lecteur de cassettes : Les beatles chantent la chanson qui lui a donné son nom. Quand Papa était là, ça marchait. Ça chassait la tristesse : il la jouait au piano, elle résistait un temps mais ne tardait pas à chanter à tue tête avec sa personne préférée de tous les temps.
Mais dans ce nouveau monde : elle n'arrivait plus à mettre de chanson dans son coeur.